Monique Therrien

De ces tableaux de moi a surgi ce texte de lui!!!

Crédit photo: Sonia Guertin

S’enchaîne 1

Les lutines, ça vole et ça virevolte, ça bourdonne et ça tourbillonne. Ça bondit et rebondit partout pour faire le bien bien et du bon bon. Faire du bon bon, c’est pas du bonbon! C’est beaucoup de travail, même pour une lutine travaillante et très vaillante. Il y a tant de bien à faire et si peu de temps pour le faire. Alors elles se lèvent de bonne heure pour distribuer le bonheur. Et plus il y a de bonheur à distribuer, plus elles doivent se lever de bonne heure, ce qui est un grand malheur.

Les lutines, ça ne tient pas en place et ça place le travail en première place. Si elles font tout ce bien et tout ce bon, c’est qu’elles ont un petit cœur très grand. Dedans, il y a de la place pour tout le monde du monde. Tellement qu’il devient parfois lourd. Alors, les lutines se trouvent fatiguées et doivent se poser, se déposer et pauser pour se reposer, même si personne ne leur a vraiment enseigné comment faire pour se défaire de tout ce qu’elles ont à faire.

C’est ce qui était arrivé à Mo. Assise sur sa balançoire suspendue au ciel, elle s’était déposée voilà un moment déjà et avait passé un bon moment à pauser et se reposer. Elle s’était bercée au gré de la brise, riant à gorge déployée, grisée par le va-et-vient. Mais quand on va et qu’on vient, on ne va vraiment nulle part. Or, c’est la nature des lutines de toujours aller quelque part. C’est pour ça que ça se pose, repose, pause et dépose pas souvent.

Mo soupira et cessa de se balancer.

- Pffffffff… Je me prélasse et j’en suis un peu lasse. Je retournerais bien faire le bien bien et du bon bon. Mais bon…

Elle frissonna. Les lutines sont très frileuses. Quand une lutine a froid, elle se tend beaucoup plus qu’elle ne se détend. Ce n’était guère surprenant considérant la hauteur à laquelle la balançoire était suspendue dans le ciel. Les lutines sont allergiques à la hauteur sous toutes ses formes : celle qui donne le vertige, celle des gens qui prennent les autres de haut et celle où il fait froid. Pour qu’elles aiment la hauteur, il faut que le paysage en bas soit très joli ou alors, il faut enlever le « h ». Et elles détestent absolument la largeur. Les lutines ne sont jamais larges! De toutes les dimensions, celle qu’elles préfèrent, et de loin, est la profondeur.

Mo fit bouger ses orteils et les trouva un peu engourdis. Pourtant, elle était une lutine très dégourdie! Pour oublier ses frissons, elle observa les étoiles qui scintillaient tout là-haut. Elle ne s’était jamais vraiment arrêtée pour bien les regarder. Comme elles étaient belles! Il y en avait tant! Des grosses et des petites, des brillantes et des plus pâles. Elle tendit la main pour en attraper une qu’elle pourrait conserver pour elle toute seule. Mais sa main se referma sur le vide. Les étoiles étaient bien trop éloignées pour être attrapées et c’était parfait comme ça. Elles brillent pour tout le monde.

- Hihihi! s’esclaffa-t-elle en réalisant sa méprise.

À travers les nuages, le jour se pointa le bout du nez et les rayons du soleil réchauffèrent celui de Mo, qui était joliment retroussé. Ses frissons se calmèrent et elle se retrouva donc nez à nez avec le matin.

- Bonjour, matin! lança Mo.

- Bonjour! répondit une toute petite voix derrière elle.

Mo sursauta et se retourna si brusquement qu’elle faillit en tomber de sa balançoire, ce qui n’aurait pas été très grave puisqu’elle savait très bien voler et virevolter. Mais les lutines n’aiment pas les surprises.

- Il y a quelqu’un? demanda-t-elle.

Elle eut beau chercher, elle ne vit personne mais s’en trouva fort intriguée. Elle se dit que c’était sans doute le matin qui lui avait répondu. Après tout, il se trouvait aussi bien derrière que devant. Un magnifique sourire se forma sur son visage, si lumineux qu’en le voyant, le soleil levant se sentit pâlir et se demanda s’il ne devait pas retourner se coucher. Par sens du devoir, il se ravisa et continua à monter dans le ciel. Bientôt, ses rayons scintillèrent dans les cheveux blonds de Mo. Elle en profita pour les replacer. C’est coquet, les lutines. Même si ça bourdonne et tourbillonne presque tout le temps, c’est toujours parfaitement coiffé.

- Ahhhhhhhhh, fit-elle à nouveau, tandis que la chaleur l’envahissait et l’enveloppait. Comme on est bien quand on a chaud!

Enfin réchauffée et bien dégourdie, elle se balança de plus belle, s’abandonnant à l’agréable vertige d’aller et de venir nulle part. Les nuages prenaient une jolie teinte dorée et, tout en bas, le soleil se mirait dans les eaux bleues et tranquilles. Au loin, une jolie montagne semblait rougir de plaisir tandis que les chauds rayons la caressaient. Mo se demanda si elle rougissait, elle aussi. Sans doute, admit-elle. Les lutines, bien que coquines, sont timides et ingénues.

S’enchaîne 2

Les lutines se déposent rarement assez longtemps pour prendre le temps d’apprécier le temps. Tout juste de temps en temps, pas longtemps, et jamais autant qu’elles le devraient, même si elles le devraient tant. Maintenant que Mo était posée et déposée, le monde lui semblait bien différent, vu de la balançoire suspendue au ciel.

Elle fut prise par une soudaine envie de s’envoler pour virevolter, bourdonner et tournoyer. Une lutine, ça ne reste jamais très longtemps en place. Sans hésiter, elle ferma ses grands yeux bleus et se laissa choir dans le vide en riant à gorge déployée.

- Youpiiiii!!!!! s’écria-t-elle, remplie de joie, en tournoyant gaiment sur elle-même, les bras en croix, décrivant des vrilles et des arabesques, descendant, remontant et tournoyant dans le plus parfait abandon. Youpiiiiiiiii!!!!

Mo fit des acrobaties puis se laissa planer doucement en profitant du paysage. Elle avait toujours été si occupée à faire le bien bien et du bon bon qu’elle n’était jamais montée si haut. Les lutines sont modestes et préfèrent faire profil bas.

- Roooh… Tout est si petit vu d’ici! s’émerveilla-t-elle. Tout petit, petit, petit!

De toute évidence, le matin aimait les couleurs vives car, en bas, tout était bleu, mauve, turquoise, rose… Au loin, le soleil levant illuminait les nuages. Les chaînes de montagnes baignaient dans la légère brume qui montait du sol et qui avait l’air de grosses boules de coton dans lesquelles Mo avait envie de plonger tête première pour rebondir en riant vers le ciel. Un peu partout, de grands arbres majestueux tendaient vers le soleil matinal. Vu de haut, le monde entier était si vivant, si vibrant et si paisible!

Mo n’avait pas l’habitude de la paix. Avec étonnement, elle réalisa qu’elle se sentait détendue. Les lutines, ça se tend tout le temps, mais ça ne se détend pas tant et pas longtemps. Tant et si bien que quand la détente les prend, ça les surprend.

- C’est parce que tu te tends au lieu de prendre le temps, dit la petite voix. Tu te tends tant que plus rien n’est tentant et que faire le bien bien ne te plaît plus autant qu’au temps d’antan. Si tu te détends de temps en temps, tu pourras faire plus longtemps ce que tu aimes tant.

- Hein? fit Mo, médusée et pas du tout certaine d’avoir compris ce qu’elle venait d’entendre.

Mais qui donc s’amusait à lui parler sans se montrer? Elle trouvait ça agaçant! Une fois de plus, elle eut beau chercher dans toutes les directions, elle ne vit que des nuages auxquels le soleil donnait une jolie teinte dorée. Comme le jour était très occupé à être partout, cette fois, ce n’était certainement pas le matin qui venait de lui parler.

- Qui est là? demanda-t-elle avec méfiance.

- Je suis ici.

- Où ça, ici?

- Ben ici, là.

- Ici ou là?

- Ici.

Mo suivit la petite voix et réalisa qu’elle semblait provenir de la balançoire suspendue au ciel qu’elle venait de quitter. Elle y retourna et fit mine de se rassoir.

- Attention! Je suis là!

Mo pivota sur elle-même et aperçut un minuscule papillon tout bleu sur lequel elle s’était presque assise.

- Je croyais que tu étais ici, fit-elle, confuse.

- Tu vois bien que oui.

- Tu viens de dire que tu es là.

- Oui, je suis là! Ici!

- Roh…. C’est compliqué… soupira la lutine en secouant la tête.

Le petit papillon bleu s’envola. Mo s’installa sur sa balançoire et il vint se poser sur son nez. Elle loucha pour le voir. Comme il était mignon! Ses ailes étaient d’un splendide bleu indigo bordées de rouge et de jaune. Ses deux longues antennes bougeaient tout le temps.

- Tu es joli, dit-elle.

- Merci. Je suis Moucheron.

- Tu n’es pas un papillon?

- Si.

- Tu viens de dire que tu es un moucheron!

- Oui. C’est mon nom : Moucheron le papillon.

- Pffffffffrrrrrrttttt! s’esclaffa Mo. C’est drôle!

- Je sais.

- Tu es tout petit.

- Ne sais-tu pas qu’on a toujours besoin de plus petit que soi? demanda Moucheron.

- Je n’aime pas la soie, rétorqua la lutine. Ça chatouille.

- Soit. Chacun pour soi, mais tu as tout de même besoin de moi.

- Pourquoi j’aurais besoin de toi?

- Parce que tu ne peux pas toujours faire le bien bien et du bon bon si personne n’en fait pour toi. On ne peut donner que ce que l’on reçoit.

Le papillon vient se poser près de Mo. Ensemble, ils admirèrent un peu le paysage.

- Tu te pose, dépose, pause et repose, toi aussi? lui demanda-t-elle, étonnée.

- Bien sûr. Comment pourrais-je faire tout ce que j’ai à faire si je ne savais pas comment faire pour m’en défaire et prendre le temps de me refaire?

Le petit cœur de Mo était très grand, mais elle eut soudain l’impression qu’il devenait gros.

- Moi, je dois me lever de bonne heure pour distribuer du bonheur, dit-elle d’un ton penaud.

- C’est pour ça que tu te tends autant.

- Oui, mais si je me levais de mauvaise heure, je n’aurais plus que du malheur à distribuer, protesta-t-elle.

- Pas du tout! ricana le papillon en frétillant des antennes. Le bonheur n’a pas l’heur de connaître l’heure et, pour l’heure, il est temps que tu apprennes à te défaire de ce que tu as à faire pour mieux voir à tes affaires.

Moucheron quitta la balançoire et se mit à virevolter, tournoyer et tournoyer sous le regard amusé de Mo, qui alla bientôt le rejoindre. Ensemble, ils décrivirent les figures les plus folles. Ils finirent par s’arrêter, essoufflés et riant si fort qu’ils en avaient les larmes aux yeux. Le papillon lui désigna l’horizon.

- Tu vois la chaîne de montagnes, là-bas? demanda-t-il.

- Roh, nous revoilà entre ici et là… soupira Mo.

- Pas du tout! Tu la vois, oui ou non? insista Moucheron.

- Oui. Elle est bien jolie.

- Plus tu prendras le temps d’admirer cette chaîne, moins tu auras de chaînes.

- Hein?

Perplexe, Mo se gratta les cheveux. Réalisant qu’elle venait de se dépeigner, elle se recoiffa frénétiquement, de peur qu’on l’aperçoive avec un poil qui dépassait.

- T’es-tu déjà posée ailleurs que sur cette balançoire qui va et qui vient sans aller nulle part? demanda le papillon.

- Ailleurs? Où ça?

- Là, fit Moucheron en désignant le monde, tout en bas.

Cette fois, Mo s’impatienta, ce qui était une chose fort rare. C’est patient, les lutines.

- Je croyais que c’était ici, là! s’écria-t-elle, exaspérée.

- Non. Ici, c’est ici, et là, c’est là.

- Mais alors, où est ici ? Là ou ici?

- Tu devrais apprendre à te concentrer sur ici et maintenant, toi… observa Moucheron. Tu t’inquiètes beaucoup trop de là. Ça ne t’aide pas à te détendre au lieu de te tendre.

Il se mit à virevolter autour de Mo, exactement comme Mo avait virevolté autour de tous ces gens auxquels elle avait fait du bien bien et donné du bon bon. Puis il piqua du nez et fonça vers là. Ou ici. Mo n’en était toujours pas certaine.

- Suis-moi! s’écria Moucheron.

S’enchaîne 3

Moucheron avait plongé vers les montagnes sans attendre Mo, qui hésita un peu. Les lutines ont beau voler, virevolter, tournoyer et tourbillonner, elles sont très réfléchies et se lancent rarement tête première. Mais le papillon était déjà si petit que, pour ne pas le perdre, elle se décida à le suivre.

Elle fonça et eut tôt fait de rattraper son nouvel ami. C’est rapide et infatigable, les lutines. De vraies athlètes du vol et du tourbillon.

- On va où? demanda-t-elle quand elle fut à sa hauteur.

- Là, répondit Moucheron en désignant un endroit, en bas.

- Ce n’est pas ici? s’enquit la lutine, à nouveau confuse.

- Non. C’est là.

- Rohhhhhh…. Ici, là, ici, là… Tant qu’on est quelque part, moi ça me suffit! grommela Mo en roulant des yeux.

Ils se posèrent dans une jolie clairière et la lutine en resta bouche bée. Elle se laissa tomba sur le derrière, stupéfaite, et Moucheron se percha sur son épaule.

Que cet endroit soit soit ici ou là était sans importance. Il était presque irréel tant il était magnifique. Les teintes de bleu, de verts, de turquoises, de mauve et de rose, de jaune et d’orangé se mêlaient si bien que le ciel et la terre semblaient se confondre. Les sapins, certains verts, d’autres blancs, se dressaient fièrement et leur cime semblait vouloir toucher les nuages multicolores percés par des rayons de soleil.

- C’est beau, n’est-ce-pas? demanda Moucheron.

- Tellement… murmura la lutine émerveillée en battant des mains comme une petite fille.

Les lutines apprécient les belles choses, c’est bien connu.

- Je parie que tu ne t’étais jamais posée ailleurs que sur la balançoire suspendue au ciel qui va et vient sans aller nulle part, devina Moucheron.

- Jamais, confirma Mo. Même sur la balançoire, c’était la première fois. C’est bien mieux d’être posée, pausée et déposée sur du solide, dit-elle en tapotant le sol près d’elle. C’est rassurant, le solide.

- Ça permet surtout de bien se reposer.

Mo avisa un sapin plus grand et plus beau que les autres, tout vert et turquoise, qui se dressait majestueusement. Le papillon suivit son regard et sourit.

- C’est Cyprien.

- Hein?

- Le sapin. C’est Cyprien.

- Ah bon. Et il fait quoi, en cet endroit, Cyprien le sapin?

- Ben, il est Cyprien le sapin. Ce n’est pas rien.

- Donc Cyprien ne fait rien?

- Point. Être n’est pas ne rien faire. Pour faire ce qu’on a à faire, il faut d’abord être ce que l’on doit être. Parce que si l’on n’est rien, on ne fait rien de bien, pas même le bien bien et le bon bon. On a beau se lever de bonne heure, on n’a pas de grandes provisions de bonheur à distribuer.

- Et Cyprien, lui…

- Il est. Il est même très bien. Et comme il est très bien, il a plein de bien à donner. Tu devrais le voir le jour de Noël!

Mo eu l’impression qu’à ces mots du papillon, Cyprien le sapin frémissait des racines à la cime. La lutine émit un long soupir de contentement. Elle tendit l’oreille et s’attarda au chant de la nature. La brise qui sifflait entre les branches, les oiseaux et les criquets qui chantaient, l’herbe qui bruissait…

- Mon beau sapin, roi des forêts, que j’aime ta ver-du-re… se mit-elle à chantonner.

- Tu te sens bien? demanda Moucheron.

- Oh oui!

- Tu sais pourquoi?

- Ben… Parce que je suis posée, déposée et pausée?

- Un peu, mais pas seulement.

- Parce que suis détendue plutôt que tendue?

- Aussi, mais pas seulement.

- Il y a autre chose?

- Tu es déchaînée.

- Pas du tout! Je suis de très bonne humeur, tu sauras! rétorqua Mo, d’un ton qui indiquait tout le contraire.

- Je sais. C’est parce que tu es sans chaînes.

- Hein?

- À force de faire ce que l’on doit faire sans jamais prendre le temps d’être ce que l’on doit être, on devient lourd parce que des chaînes nous enchaînent.

- Oui, il est vrai que, parfois, mon petit cœur très grand me semble un peu pesant.

- C’est parce que les lutines s’enchaînent facilement. À force de virevolter, tournoyer et bourdonner, elles s’entortillent. Mais quand une lutine cesse de se tendre tout le temps et qu’elle se détend de temps en temps, ses chaînes se déchaînent, expliqua le papillon. Et une fois qu’elle est sans chaînes, ses plaisirs s’enchaînent et il est plus facile pour elle de se lever de bonne heure pour distribuer du bonheur.

- Hum… fit Mo, songeuse, en se tapotant le menton. Hon… Oh? Ah?

Le papillon quitta son épaule et se mit à voleter devant elle.

- Viens!

- Où ça?

- Voler et virevolter! Tu ne vas quand même pas rester posée là toute la journée!

Sans attendre, Moucheron s’élança vers le ciel.

- Pffffff… fit Mo. D’abord il faut se poser et dès qu’on est pausée et reposée, il faut se remettre à voler… C’est fatiguant, à la longue, toute cette histoire de repos…

Elle jeta un dernier coup d’œil à Cyprien en se promettant de revenir le visiter dès que possible, puis s’élança dans le ciel à la poursuite du papillon bleu.

S’enchaîne 4

Elle monta, monta et monta encore dans le ciel. Lorsqu’elle eut rejoint Moucheron, elle regarda en bas. Les montagnes qui se déployaient à l’horizon étaient magnifiques. Le soleil leur donnait une magnifique teinte orangée qui gonflait son petit cœur très grand d’un étrange contentement.

- Tu te sens légère? demanda Moucheron.

- Oh oui! fit Mo en décrivant une vrille vertigineuse.

- C’est du bonheur.

- Quoi?

- Cette drôle de sensation que tu ressens en admirant les montagnes, c’est du bonheur. C’est simple : quand on est ce qu’on doit être, on a moins besoin de se poser pour pauser et se reposer car on ne se tend pas tout le temps. Comme on est sans chaînes, les bonheurs s’enchaînent.

Mo se gratta la tête. Jamais, avant, elle n’avait été sans chaînes. Elle continua à admirer le paysage. D’autres montagnes étaient bleues, vertes, roses ou turquoises. Elles semblaient toutes flotter sur un gros nuage doux et moelleux. Au loin, des oiseaux volaient vers un horizon qui semblait très loin.

- C’est beau, une chaîne, non?

- Hein? fit Mo, interdite. Mais non, c’est pas beau! Et en plus, c’est lourd! Tu viens de m’expliquer qu’il fallait se déchaîner et maintenant, tu aimes les chaînes? Roh… C’est changeant, les papillons...

Les lutines aiment les choses comme elles sont et préfèrent qu’elles ne changent pas. Exactement comme ceci et pas comme cela. Ne leur demandez pas pourquoi. Elles sont comme ça.

- Mais non, fit Moucheron. Je parle de la chaîne de montagne, là, en bas. Pour apprécier sa beauté, il faut d’abord être déchaîné. Sans chaînes, tout est plus beau. Y compris les chaînes.

Le papillon vint se poser sur son petit nez retroussé.

- Je dois partir, lui dit-il.

- Mais… Mais… Tu viens d’arriver… fit Mo d’une toute petite voix toute triste.

- Je suis comme toi : je ne tiens pas en place. Lui non plus d’ailleurs.

- Qui ça?

Moucheron désigna de l’aile l’horizon, Mo plissa ses jolis yeux bleus et finit par apercevoir quelque chose.

- On dirait… quelqu’un sur une balançoire suspendue au ciel qui va et qui vient sans aller nulle part.

- C’est un lutin, l’informa Moucheron.

- Il est seul, observa Mo. Il doit être triste.

- Mais non. Il est ce qu’il doit être par lui-même. C’est différent.

- Euh… Ah?

- Par contre, je suis certain qu’il apprécierait de la compagnie. Car même si on est ce qu’on doit être et qu’on fait tout le bien bien et le bon bon qu’on doit faire, on l’est encore beaucoup mieux à deux.

Le papillon quitta le petit nez retroussé et s’éloigna dans le ciel. Mo observa un moment le lutin qui se balançait tout seul en étant ce qu’il devait être. Elle décida d’aller le retrouver.

C’est curieux les lutines.

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